(Méditation préparée par le Père François en commun avec le Père Bruno)
Chers amis, nous faisons mémoire ce soir du dernier repas de Jésus, nous célébrons cette
première Eucharistie : Jésus prend le pain, le rompt et le donne à ses disciples, signe de son
corps livré. Puis il prend la coupe de vin, la bénit et la donne à ses disciples, signe de son sang
versé. Nous célébrons l’institution de l’Eucharistie, alors que depuis plusieurs semaines, nous
sommes contraints à un jeûne eucharistique, alors que ce soir même, nous ne pourrons
communier au corps et au sang du Christ.
Saisissons cette situation comme une occasion de redécouvrir le sens de ce que Dieu nous
donne à chaque Eucharistie... revenons à la lecture du livre de l’Exode proposée dans la
liturgie de ce Jeudi Saint. Elle nous rappelle que notre fête de Pâques s’enracine dans la Pâque
juive, que l’Eucharistie prend source dans ce contexte. Les juifs célèbrent la manière dont
Dieu a sauvé son peuple de l’esclavage en Egypte. Pour se souvenir du départ en toute hâte du
pays d’Egypte, Dieu leur a prescrit de manger un agneau rôti au feu, avec des herbes amères,
et des pains sans levain. Il s’agit de se rappeler que Dieu a donné la nourriture à son peuple,
une nourriture qu’ils ont pris en toute hâte avant de fuir le pays d’Egypte. Avant de partir,
Dieu a donné à son peuple, la nourriture et le pain pour la route.
Cette période du confinement fait apparaitre peut-être plus clairement les pains dont nous
avons besoin pour la route : au-delà de la nourriture matérielle dont nos corps ont besoin (et
on sait combien la question du ravitaillement prend une place importante), d’autres
nourritures se révèlent. Les relations humaines par exemple... on voit bien l’importance de
rester en lien les uns avec les autres, de prendre des nouvelles de ceux qui sont seuls, de
passer des coups de fil, de créer des groupes d’amis sur les réseaux sociaux, de redécouvrir la
joie des temps en famille. Jésus, lui, a aimé rencontrer les hommes et les femmes dans les
villes et les villages de Palestine, des rencontres qui ont nourrit sa vie humaine, comme elles
ont nourri sa mission et sa prière. Il y a aussi le besoin de se mettre au service, attitude
nourrissante pour celui qui s’y risque (et qui donne sens à sa vie), comme pour celui qui est
servi. Lors de son dernier repas, Jésus pose un geste, qui nous est rapporté dans l’Évangile
selon St Jean, proposé en ce soir du Jeudi Saint : il lave les pieds de ses disciples. Il fait le
geste du serviteur. Par là même, il manifeste son amour jusqu’au bout pour les siens. Autre
nourriture, la lecture de la Parole de Dieu, pour redécouvrir combien Dieu n’abandonne
jamais les hommes. Jésus s’est nourri de la Parole, la Parole a nourri sa prière. La prière,
justement : comme temps privilégié de rencontre avec le Seigneur, elle est aussi pain pour la
route... autant de nourritures, autant de pains qui nous sont donnés pour la route, autant de
nourritures que nous pouvons accueillir comme des dons de Dieu.
Jésus est le pain que Dieu nous donne. Sa vie est donnée, donnée aux hommes, donnée par
amour. On pourrait dire que sa vie est mangée, tel le pain que nous partageons et que nous
mangeons. Sur la croix, Jésus ira jusqu’au bout du don qu’il fait de sa vie. C’est ce qu’il a
voulu manifester lors de son dernier repas en partageant le pain et le vin : « Ceci est mon
Corps, livré pour vous », « ceci est mon Sang, versé pour vous ». Jésus, en invitant ses
disciples à faire cela en mémoire de lui, nous donne le pain pour la route : il se fait le pain de
la route. Chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie et que nous communions au Corps du
Christ, nous recevons ce pain que Dieu ne cesse de nous donner.
En cette période de jeûne eucharistique, il ne nous sera pas possible de recevoir la
communion, pain pour notre route. Si beaucoup peuvent ressentir ce manque, il nous est
possible d’accueillir autrement ce pain que Dieu nous donne : dans les relations que nous
vivons, dans la manière dont nous nous mettons au service les uns des autres et peut-être
particulièrement des plus fragiles, mais aussi dont d’autres se mettent à notre service, dans la
lecture et la médiation de la Parole de Dieu, dans la prière, reconnaissons que le Christ déjà
est présent, que déjà il nous partage et nous donne sa vie, et qu’à travers cette présence, Dieu
déjà vient nous donner le pain de la route.